L'écriture de la plus brillante civilisation précolombienne qui est longtemps restée une énigme serait sur la voie d'être résolue.
Et la jungle sombra dans la nuit. Les historiens de l'Amérique précolombienne se disputent toujours pour établir comment la civilisation maya, parvenue à son apogée au moment où, de l'autre côté de l'Atlantique, Charlemagne se faisait couronner, s'est effondrée. Les fouilles archéologiques confirment toutefois que, plus ou moins lentement, les gigantesques cités-Etats du Yucatan et de l'actuel Guatemala, édifiées dès le ve siècle, se sont vidées de leurs populations. Au moment de la conquête espagnole, aux xvie et xviie siècles, il ne reste que des ombres du génie maya. Des palais et des temples en ruine, vite regagnés par la forêt tropicale. Des livres d'images colorés dont les prêtres catholiques, tout à leur œuvre de conversion forcée, font des brasiers, afin de détruire jusqu'au souvenir des " écritures de Satan ". Dieu seul sait ce qu'ils ont jeté au feu, ces moines franciscains : Des chronologies ? Des traités d'agriculture ? Des épopées tumultueuses ? Des récits mythologiques perdus à tout jamais ?
Une fois l'autodafé consumé, pendant plus de trois siècles, l'écriture maya va rester dans l'obscurité. Il est interdit de l'enseigner. Des innombrables ouvrages, il ne subsiste que trois codex sur papier d'écorce, plié en accordéon, à l'authenticité incontestée. Des centaines de faux manuscrits auraient été forgés ces dernières décennies... Afin d'étudier les signes, il faut donc les chercher ailleurs : sur les stèles, les linteaux des temples, les céramiques que les archéologues dénichent au gré des fouilles.
Jean-Michel Hoppan est l'un de ceux-là. Après des débuts dans le domaine de l'archéologie de sauvegarde en banlieue parisienne, ce chercheur au CNRS part en Amérique centrale.
Il devient, un peu par hasard, un spécialiste français de l'épigraphie maya. " C'était frustrant de voir ces glyphes sans les comprendre. C'est une écriture ostentatoire, destinée à frapper les esprits, à justifier le pouvoir des élites. Elle envahit tout l'espace, comme aujourd'hui la publicité. Et son élégance est fascinante. "
Il devient, un peu par hasard, un spécialiste français de l'épigraphie maya. " C'était frustrant de voir ces glyphes sans les comprendre. C'est une écriture ostentatoire, destinée à frapper les esprits, à justifier le pouvoir des élites. Elle envahit tout l'espace, comme aujourd'hui la publicité. Et son élégance est fascinante. "
Mystérieuse calligraphie que ces grilles composées de formes abstraites ou figuratives rassemblées en cartouches et en colonnes et qui peuvent être combinées ou même fusionnées. Aventuriers, mathématiciens, peintres se sont attaqués au déchiffrement de ce code à partir de la fin du xviiie siècle, quand l'Espagnol Antonio del Rio découvre la cité oubliée de Palenque et ses édifices sacrés couverts de hiéroglyphes.
C'est le début d'une longue traque, à ce jour inachevée, où il faut trouver, recopier, recenser les glyphes, afin d'établir un corpus - préalable indispensable au déchiffrement. Cela ne va pas sans errements. En 1832, le Français Jean-Frédéric Waldeck voit dans certains glyphes des têtes d'éléphant - un animal inconnu en Amérique précolombienne ! Mais il est convaincu que les Mayas viennent de Babylone... Un peu plus tard, l'un de ses compatriotes, l'abbé Brasseur de Bourbourg, se montre aussi fantasque : les codex qu'il a sortis de l'ombre racontent, à l'en croire, la fin de l'Atlantide ! On avance pourtant. Marseillais né à Constantinople, l'extravagant Constantin Rafinesque identifie la numérotation maya (un point pour une unité, une barre pour le chiffre 5) et, le premier, soupçonne qu'il y a un lien entre la langue maya moderne et ces drôles d'écritures. Dans les années 1880, l'Allemand Ernst Forstemann établit que le codex de Dresde, où il est bibliothécaire, est une table de prévisions astronomiques. On comprend le calendrier.
Des logos et/ou des syllables
Progressivement s'impose la vision d'une écriture logographique, où les images représentées correspondraient à des réalités et dont l'agencement fonctionnerait à la manière d'un rébus. Cette idée va être remise en question en 1952 par un linguiste soviétique, Youri Knorosov. Artilleur pendant la guerre, il aurait, selon la légende, trouvé dans Berlin en ruine en mai 1945 une reproduction des codex et aurait décidé de s'attaquer à sa traduction. Isolé dans son petit bureau de Leningrad, il va, grâce à une approche comparative avec d'autres langues et sans être jamais allé sur le terrain, établir que le nombre de glyphes mayas est trop faible pour composer une écriture uniquement logographique et trop important pour constituer une écriture purement alphabétique. Balam, le jaguar, explique-t-il, peut ainsi s'écrire par une tête de jaguar. Mais aussi par un collage des signes phonétiques [ba], [la], [ma]. Ou encore par un mélange des deux. C'est un tournant. Mais, encensé par la propagande stalinienne, qui salue un nouveau triomphe de la dialectique marxiste sur l'Occident décadent, le travail du Soviétique est repoussé, à l'Ouest, par le Britannique Eric Thompson, le pape des mayanistes de l'époque. L'intuition fulgurante de Knorosov va mettre du temps à s'imposer. Il faudra d'autres fouilles et d'autres linguistes. La clef (finale ?) du code va être trouvée par l'Américain David Stuart. A 8 ans, il a suivi son père, archéologue, sur les champs de fouilles, où il commence à recopier les glyphes.
800 signes identifiés
C'est le début d'une passion. Le garçon retourne régulièrement en Amérique centrale pendant ses vacances d'été. En 1978, il présente son premier rapport scientifique devant un congrès de mayanistes : il n'a que 12 ans. A 17 ans, l'adolescent fait une trouvaille essentielle : il prouve que plusieurs signes peuvent se substituer l'un à l'autre. La syllabe u [ou] peut ainsi être représentée par une quinzaine de signes différents. Lesquels sont susceptibles eux-mêmes de subir des variations esthétiques ; les Mayas, apparemment, détestaient se répéter et valorisaient l'inventivité picturale. Soudain, au fil des années 1980 et 1990, c'est un déluge de déchiffrement. Les linguistes mettent au jour un système de voyelles courtes, longues, réarticulées. Le code est brisé.
Comment écrire Maya ?
Les Mayas adoraient varier les types d'écriture. A titre d'exemple, le glyphe du souverain Pakal. Il peut être représenté, à la manière d'un rébus, par un bouclier (1) car pakal signifie bouclier. On peut aussi l'écrire avec les syllabes phonétiques pa, ka, la. Lesquelles peuvent être combinées et dessinées différemment selon les endroits. A Palenque, la syllabe pa est céphalomorphe (en forme de tête) (2). Peut-être, par marque de respect.
Enfin, pas tout à fait. " Les progrès ne sont pas linéaires, témoigne Jean-Michel Hoppan. On revient sur l'identification de certains glyphes, à la faveur de nouveaux compléments phonétiques. Et, désormais, après le lexique, on s'attache à reconstituer la grammaire. Il y aura toujours des incertitudes. "
Aujourd'hui, on a identifié près de 800 signes. On sait aussi que l'écriture se lit de gauche à droite, par colonne de deux. A ce jour, la plus ancienne écriture maya, trouvée à San Bartolo (actuel Guatemala), remonterait au 1er siècle avant Jésus-Christ.
Restent de nombreux mystères non résolus. Quelle fut l'origine de cette écriture ? La civilisation olmèque, qui connut une période d'épanouissement entre 1 200 et 600 ans av. J.-C., fut-elle la culture-mère de l'Amérique centrale ? C'est un objet de discussion. Il semble que les Olmèques avaient un système symbolique mais pas lié au langage. Autre inconnue : qui savait écrire dans la société maya ? seule une caste de scribes ? le peuple ? Certaines poteries ou stèles montrent des scènes d'écriture où l'on voit, entourés de serviteurs, des scribes - ou des princes ? - pinceau à la main et parmi lesquels on compte des femmes, aussi. Pourquoi, enfin, ne trouve-t-on plus d'inscriptions sur les monuments postérieurs au IXe siècle après Jésus-Christ ? Parce que les rois, incarnations des forces cosmiques, sont remplacés par des assemblées ? Les Mayas écrivaient pour trouver leur place dans le calendrier universel : en cessant d'écrire se sont-ils condamnés à mort ?
Toutes ces questions et bien d'autres encore trouveront, peut-être un jour, leur réponse dans des codex qui seraient miraculeusement préservés dans des grottes à l'air sec. Le roman du déchiffrement du code maya n'est pas achevé.
Pour en savoir plus : Breaking the Maya Code, par Michael D. Coe. Thames et Hudson, New York, 1999. Les Mayas, par Eric Taladoire et Jean-Pierre Courau. Ed. du Chêne, 2010, 25 euros.